L’Alsace 20 -1-83

Accueil    Revue de presse

Samedi et dimanche à Strasbourg 1er tour du Championnat de France

Le go, un " nouveau jeu " vieux de 4.000 ans

 

Le premier tour régional du championnat de France de go se déroulera, pour la première fois, samedi et dimanche prochains, à Strasbourg. Go? Un jeu vieux de quatre mille ans qui, venu d'Extrême-Orient, est pratiqué sérieusement en France depuis une quinzaine d'années et en Alsace depuis 1980 seulement.

Plus qu'un divertissement, il s'agit d'une philosophie.

"Le destin de Sankei fut d'errer d'une montagne à une montagne avec le prince qu'il nourrissait. Sankei avait dissimulé au monde le nom du prince aussi bien que le sien propre et l'arc-en-ciel qui conduisait à eux avait été brisé par les nuages. Lorsqu'on les retrouva, ils avaient disposé un jeu de go sur un rocher et étaient profondément absorbés par une partie. Leurs esprits se déplaçaient librement, semblables au fil de l'araignée dans l'air, tandis que leurs corps étaient desséchés, comme le cocon du ver à soie sur la branche. Ils étaient à l'image de l'art du go, si éloigné des usages de ce monde". ("Les batailles de Coxinga", acte IV, Chiskamatsu Monzaemon).

Il faut avoir joué au go pour comprendre cet espèce de vertige qui vous saisit, au dessus du "go-ban" (damier) où 19 lignes verticales et 19 lignes horizontales déterminent les 361 intersections et où le monde se résume... Mis au point, il y a quatre mille ans, par l'empereur chinois Schun pour éveiller l'intelligence de son fils, le jeu n'a été introduit au Japon qu'au VIIIe siècle dans les monastères. En 1160, était fondée la première académie de go par le moine Honimbo, un joueur tellement exceptionnel que son nom est devenu synonyme de "Maître d'académie". Enfin, il y a un siècle, l'Allemand Korschelt a importé le jeu en Europe...

Riposte graduée

Le go se joue à deux avec des pions noirs et blancs. L'objet du jeu est de former des territoires entourés de pions de la même couleur, de telle façon que l'adversaire ne puisse pas capturer des pions de clôture. Mais il n'est pas interdit à Noir d'avoir un territoire à l'intérieur d'un territoire Blanc, ou vice-versa. S'il peut y survivre... A la fin du jeu, on compte les points vides de tous les territoires de chacun des joueurs, et celui qui en a le plus a gagné.

Contrairement aux échecs, où la stratégie est basée sur la tactique, dans le go, la tactique est basée sur la stratégie, c'est-à-dire la conception générale de l'attaque et de la défense. Deux remarques, tenues pour structurelles, dans la conduite de cette stratégie. La première concerne le temps. Le go est un jeu différé. Ni la perte de certains pions, ni celle de certains points ne constitue le signe d'une défaite irrémédiable. A l'opposé, le perdant conserve fréquemment un territoire inviolable et n'est donc pas annihilé.

La seconde est relative à l'espace. Contrairement à la doctrine stratégique fondée sur la protection ou la destruction des " centres de production clés ", les points vitaux sont ici déterminés par l'interrelation des forces, à un moment donné, et sont appelés à changer en fonction des déploiements successifs.

Quel est alors I'enjeu? Certains auteurs (lire la bibliographie ci-contre) estiment que le go ne revêt pas la portée d'un duel à mort animé par un désir de destruction de l’autre, mais plutôt le sens d'une compétition économique pour la survie des groupes territoriaux. Si bien qu'à toute tentative d'encerclement et de création d'une zone d'influence, il n'est pas répondu par des représailles massives mais en fonction d'une dissuasion graduée et élastique. aboutissant à contenir la poussée adverse. Art éminemment dialectique, le go unit et sépare, en un même instant, liberté et contrainte. C’est ce rapport changeant qui procure une subtile jouissance.

Le rendez-vous annuel

Créée en 1969, essentiellement à l'initiative du Coréen Lim Yoo Long (5e dan), la Fédération française de go organise un championnat de France depuis 1971. Remportée I'année passée par le Lillois André Moussa, cette compétition se joue sur trois tours et une finale sera disputée, samedi et dimanche prochains, simultanément dans six villes: Nice, Grenoble, Bordeaux, Nantes, Paris et Strasbourg. Le club de go de Strasbourg, fondé en 1980 et fort d'une trentaine de membres assurera l’intendance de ce premier tournoi ouvert à tous, quelque soient les niveaux. Chaque participant sera assuré de jouer deux ou trois des cinq rondes contre des adversaires de même valeur. Prosélyte, le club strasbourgeois envisage de faire à terme de cette manifestation un rendez-vous annuel pour les joueurs alsaciens. Épars, ceux-ci existent en effet à Colmar (un club fonctionnait, il y a cinq - six ans, à la MJC), à Mulhouse, à Altkirch. Le tournoi du week-end prochain sera l'occasion d'établir des contacts. Et peut-être de bouleverser la hiérarchie. Alors, "les jours de printemps s'empliront comme les pierres sur le go-ban".

Robert KOCH

Bibliographie sommaire:

Petit traité invitant à la découverte de l'art subtil du go 1969, par Pierre Lusson, Jacques Roubaud, et Georges Perec.

"Traité du jeu de go", 1977, par Roger Girault.

Accueil    Revue de presse