Un cours pour enfants de la CTGA. (CHANG SU-CHING/TAIWAN REVIEW)
Date de publication:1/9/2007
Auteur:Pat Gao
Maintenant que Taiwan a son champion du monde de go, il serait dommage de ne pas trouver le moyen de populariser ce jeu d'une incroyable sophistication malgré son apparente simplicité
En mars dernier, à Séoul, en Corée du Sud, le Taiwanais Chou Chun-hsun [周俊勳], 27 ans, a vaincu son rival chinois au bout d'un match particulièrement serré pour remporter la Coupe LG, très convoitée dans le monde du go, et la coquette somme de 226 000 dollars américains.
Deux autres champions d'origine taiwanaise avaient bien décroché cette coupe avant lui, Wang Li-cheng [王立誠] en 1997 et Cho U [張翔] en 2005, mais ils avaient concouru en tant que citoyens nippons. Le monde professionnel du go est dominé par des pays comme la Corée du Sud, la Chine, le Japon et Taiwan, où il existe des ligues et des tournois consacrés à ce jeu.
Si les Chinois commencent à faire de l'ombre aux Sud-Coréens, traditionnellement en tête, les Taiwanais se sont hissés au niveau des Japonais, affirment Chou Chun-hsun [陳國興] et Chen Kuo-hsin, le secrétaire général de la Fondation culturelle Chi-Yuan de Taiwan (TCCF). L'organisation, créée en 2000 pour promouvoir le jeu de go, est financée par Bob Wong [翁明顯], le président de CMC Magnetics, une société leader dans le secteur du disque optique.
Sur une cinquantaine de joueurs professionnels à Taiwan, Chou Chun-hsun est maintenant au premier rang, tant par le nombre des épreuves remportées que par les sommes gagnées. Le 17 août, la TCCF a organisé sa troisième compétition internationale de go qui a eu lieu dans la Tour 101, à Taipei. Dotée d'un prix de 2 millions de dollars taiwanais, celle-ci fait désormais partie des principaux rendez-vous du circuit international. Elle a été remportée par le Sud-Coréen Lee Chang-ho.
A Taiwan, les rencontres professionnelles de go n'ont démarré qu'au début des années 80, grâce à ce qui est aujourd'hui l'Association de go du Taipei chinois (CTGA). Sous la direction d'Ing Chang-ki [應昌期] (1917-1997), un banquier et entrepreneur qui fonda le premier grand tournoi de go professionnel international à Pékin, en 1988, la CTGA a beaucoup fait pour développer l'intérêt pour ce jeu à Taiwan. C'est d'ailleurs avec la CTGA que Chou Chun-hsun a commencé à jouer, à l'âge de sept ans.
L'un des objectifs que s'est fixé la TCCF à sa création était de former un champion international dans les dix ans. « Et nous y sommes arrivés en sept ans seulement », dit Chen Kuo-hsin avec fierté. Aujourd'hui, Chou Chun-hsun dirige une équipe de recherche au sein de la fondation qui a pour mission de faciliter les échanges de stratégies et de compétences entre joueurs. « C'est un jeu qui nécessite de la logique, un esprit très visuel et beaucoup de patience, dit ce dernier. Et il faut être capable de jouer sous la pression. »
Jeu ou sport ?
Depuis que Chou Chun-hsun a enlevé le titre de champion du monde, le go suscite un regain d'intérêt à Taiwan, notamment dans les cercles officiels. Certains ont évoqué le transfert de ce qui touche à l'organisation des tournois de go, actuellement à la charge du ministère de la Culture, à celui de l'Education physique et des Sports.
Chen Kuo-hsin est plutôt d'accord pour dire que le go est un sport, pas seulement intellectuel d'ailleurs. Rester sept ou huit heures d'affilée concentré face au damier requiert une excellente forme physique : « Parfois, on sent son cerveau manquer d'oxygène ! », acquiesce Chou Chun-hsun qui fait du jogging pour garder sa vitalité.
Chen Kuo-hsin espère voir des Taiwanais remporter les épreuves de go aux Jeux asiatiques qui se tiendront à Guangzhou, en Chine, en 2010. Après les échecs, introduits pour la première fois aux Jeux asiatiques l'année dernière à Doha, au Qatar, c'est en effet le go, jeu chinois par excellence, qui devrait faire son entrée officielle dans ces rencontres à Guangzhou. Quant à sa reconnaissance par le Comité olympique international, la Corée du Sud s'y emploie, notamment en mettant sur pied une fédération internationale.
L'une des premières choses que cette organisation aura à faire sera d'accorder tout le monde sur un nom et des règles du jeu communs à tous les pays participants. Pour l'instant, des règles légèrement différentes coexistent, et si le nom japonais du go est le plus connu dans le monde, note Chen Kuo-hsin, on ne peut nier que le jeu trouve ses racines en Chine (où il est appelé weiqi [圍棋] ), et aussi que les meilleurs joueurs viennent, ces dernières années, de Corée du Sud (où il est connu sous le nom de baduk ).
En réalité, son origine reste mystérieuse. Une légende chinoise raconte qu'il fut inventé il y a environ 4 000 ans par un roi (qui relève lui-même de la mythologie chinoise plus que de l'Histoire) pour parfaire l'éducation de son fils. Certains historiens pensent qu'il a pu être utilisé pour enseigner la stratégie militaire, d'autres lui attribuent des fonctions purement divinatoires. Toujours est-il qu'il fut longtemps considéré comme un des quatre passe-temps essentiels des lettrés, avec la musique, la calligraphie et la peinture à l'encre. Aujourd'hui, le go est peut-être le jeu le plus ancien à avoir été conservé dans sa forme originelle.
Les ordinateurs battus
C'est un jeu dans lequel deux personnes s'affrontent de part et d'autre d'un damier formé de 19 lignes horizontales et autant de verticales. Au fur et à mesure de l'avancement dans la partie, les deux joueurs placent alternativement leurs pions — en général blancs pour l'un et noirs pour l'autre — sur l'un ou l'autre des 361 points d'intersection que compte cette grille. L'objectif est de s'accaparer le plus possible de territoire en entourant les pions de son adversaire.
Les règles sont simples, mais le nombre des combinaisons possibles est astronomique. Certains disent qu'apprendre ce jeu demande autant de capacités et de travail que l'acquisition d'une langue étrangère ou la maîtrise d'un instrument de musique.
Si les programmateurs en informatique sont parvenus à rédiger des logiciels capables de battre les meilleurs joueurs d'échecs — chinois ou occidentaux —, en revanche, le plus performant des logiciels de go arrive à peine à battre un joueur moyen. « Le meilleur est à peu près au niveau d'un enfant qui pratique le go depuis deux ans, évalue Yang Yu-chia [楊佑家], le secrétaire général de la CTGA. Le go est largement reconnu comme l'un des plus grands défis posés à l'intelligence artificielle. » Si bien que le niveau des logiciels de go est une indication de l'avancement de la technologie informatique. « Le go est bien plus que du calcul, renchérit Chou Chun-hsun. Les ordinateurs ne pourront pas battre l'homme tant qu'ils n'auront pas sa capacité de réflexion. »
Lorsqu'il se rendit en Chine à l'âge de 11 ans pour approfondir sa formation, le futur champion du monde avait déjà derrière lui plusieurs années de pratique et de nombreux concours. A l'époque, il n'y avait personne d'assez fort parmi les amateurs taiwanais pour se mesurer à lui. En butte aux railleries de ses petits camarades de classe à cause de la tache de vin qui lui recouvre la moitié du visage, Chou Chun-hsun avait en effet trouvé le réconfort dans le go depuis son plus jeune âge. Son talent ayant été reconnu assez tôt, il avait aussi eu la chance que son école primaire lui permette de sécher un certain nombre de cours afin de poursuivre sa formation avec des grands maîtres, à Taiwan mais aussi, occasionnellement, en Chine. A 14 ans, il devint le plus jeune joueur professionnel taiwanais après sa victoire dans une compétition organisée par la CTGA.
Mais le passage dans le circuit professionnel se traduisit évidemment par une augmentation du niveau de ses adversaires, et il traversa une passe difficile, ne remportant qu'une dizaine des cinquante compétitions auxquelles il participa la première année. « Le go, dit-il, est assez refermé sur lui-même, et je ne suis pas sûr que le raisonnement ou les théories qui le sous-tendent puissent être considérés comme une philosophie de vie. Mais je pense néanmoins que la démarche qui consiste à reculer pour se créer de nouvelles ouvertures est importante, tant dans le jeu que dans la vie du joueur. » En 1998 et en 2000, après des débuts apparemment difficiles, il a été reconnu par le CTGA et le TCCF comme au plus haut niveau de la compétition au niveau professionnel.
En 2001, Chou Chun-hsun a représenté Taiwan au Japon lors de la coupe Fujitsu, un tournoi international de premier plan dans lequel s'affrontent des joueurs tant américains et européens qu'asiatiques. Il a battu ses adversaires les uns après les autres pour parvenir en demi-finale aux côtés de l'un de ses maîtres, Rin Kaiho [林海峰], binational qui concourt sous les couleurs japonaises mais a conservé sa nationalité taiwanaise. Depuis, Chou Chun-hsun est omniprésent au plus haut niveau dans les arènes internationales.
Former les générations suivantes
Son titre de champion du monde a suscité une réflexion sur la façon de développer les capacités des joueurs taiwanais, et peut-être de reconnaître le go comme un sport, avec tous les avantages que cela présenterait.
Lorsque Cho U a remporté le prestigieux tournoi Honinbo au Japon, cela a eu pour conséquence pour les espoirs de la discipline d'obtenir de substituer leur période sous les drapeaux par un an et demi d'entraînement intense dans le TCCF. « Si un champion de go de 20 ans passe un an et demi dans l'armée, dit Chen Kuo-hsin, lorsqu'il en sort, il lui faut trois fois plus de temps pour retrouver son niveau antérieur. »
Le ministère de l'Education envisage de revoir la législation pour que les étudiants ayant un talent particulier — pour le jeu de go, par exemple — aient plus facilement accès aux universités. Luo Cing-shuei [羅清水], un haut responsable du département de l'Education spécialisée au ministère, admet que par le passé, l'attention s'est plutôt concentrée sur les athlètes, les scientifiques, les musiciens ou encore les danseurs. « En ce moment, la tendance est à la reconnaissance de distinctions plus subtiles et de compétences plus diverses parmi les étudiants. » Il pourrait être bon de suivre le modèle instauré par le Lycée affilié à l'université nationale Chengchi, à Taipei, qui prend aussi en compte, entre autres, les performances en go pour sélectionner les élèves.
Une enquête réalisée pour le TCCF montre que la connaissance et la pratique du go ont été multipliées par 10 entre 2000 et 2006. Preuve de cet intérêt, les cours de go se positionnent désormais comme de réelles alternatives aux cours de dessin, musique, etc., parmi les activités extrascolaires proposées aux enfants. Le jeu a beaucoup gagné en popularité depuis la diffusion d'un feuilleton animé japonais intitulé Hikaru no Go, l'histoire d'un jeune garçon qui apprend le go avec le fantôme d'un maître qui réside dans un vieux damier. « Avant, il n'y avait de clubs de go que dans les universités, dit Chen Kuo-hsin. Maintenant, il y en a aussi dans les établissements scolaires, à tous les niveaux. » Il voudrait aussi voir s'ouvrir des départements de go à un niveau supérieur, comme cela existe dans deux universités sud-coréennes, afin de former des talents dans l'enseignement et la recherche sur ce jeu antique. Yang Yu-chia pense pour sa part que la meilleure façon de promouvoir le go auprès des jeunes est de former des instituteurs qui puissent encadrer des classes pour les élèves intéressés.
Quant à lui, Chen Kuo-hsin souhaite que le sponsoring et les subventions publiques s'étoffent pour faciliter l'organisation des rencontres professionnelles et l'accueil des joueurs. Dans les cercles amateurs, il estime aussi nécessaire que l'évaluation des compétences soit faite avec sérieux, afin d'alimenter la filière professionnelle. Si les pouvoirs publics jouent un rôle important dans le développement du go, dit-il, ce n'est pas un mais des dizaines de champions qui émergeront pour permettre à Taiwan d'affronter les trois autres puissances de la discipline sur un pied d'égalité.