L’Alsace 11-1-85

Blanc contre noir     L’étrange univers du Go

 

Pierres blanches de nacre, brillantes, contre pierres noires de carbone, mates. Ça pourrait être le symbole manichéen d'un combat, le bien contre le mal, la lumière affrontant les ténèbres...

On pourrait aller loin sur cette voie, si on se laissait aller à délirer dans les méandres de la symbolique orientale. Nous n'irons pas jusqu'au bout de ce voyage-là... Et pourtant, en pénétrant les règles de ce jeu qui nous arrive, à travers le temps du lointain Orient, on est amené à découvrir une espèce de philosophie du jeu, faite de subtilité, de réflexion, de concentration, de rigueur mathématique, tactique mais aussi de création, plus stratégique... C'est l'univers du Go...

Un jeu surgi de la nuit des temps, quelque part en Orient, peut-être au Tibet, il y a de cela quelque 4000 ans, et que l'on a appris à découvrir beaucoup plus récemment dans nos contrées... On y joue à deux, chaque joueur disposant de 200 pions (on dit ici des "pierres") et autorisé à jouer un coup à chaque tour. Les noirs contre les blancs. Les combats, car combat il y a, se déroulent sur un échiquier quadrillé: le "go ban".

Impossible d'expliciter en détail toutes les règles du Go, ses subtilités, ses coups répertoriés. Pensez-donc, il faut au moins une année de pratique pour être, à ce jeu là, un débutant "honorable"...

Disons que le but principal de chaque joueur est de délimiter à l'aide de ses pierres un maximum de territoires. Les plus vastes possible, qui lui donneront un maximum de points. Les coups se jouent sur les points d'intersection de chaque case, chaque intersection occupée valant un point, deux si elle permet en plus la prise d'une pierre adverse. Précisons encore que quand une pierre ou un groupe de pierres sont entourées par les pierres adverses, le joueur qui a réussi l'encerclement peut les prendre.

Voilà pour une approche vraiment très sommaire du déroulement de la partie. Là-dessus viennent se greffer une multiplicité de combinaisons, de probabilités, de coups stratégiques et tactiques, mais aussi une bonne part d'appréciation personnelle et d'intuition...

Le Go ne se livre pas, comme ça en toute simplicité au premier joueur venu; et pourtant il fait des adeptes, de plus en plus. C'est ainsi que des passionnés ont créé, il y a quatre ans, à Strasbourg, un club qui regroupe maintenant une centaine de licenciés qui se retrouvent deux fois par semaine pour s'initier ou se perfectionner.

Le langage du Go

Ils sont attirés comme M. Pernoud, par l'aspect cérébral du jeu, qui n'est pas sans rappeler celui des échecs, mais aussi par son côté plus créatif, plus intuitif:

"Le côté plus mathématique du Go, c'est son aspect tactique" explique M. Pernoud, "c'est-à-dire ce qui concerne les combats locaux dans l'une ou l'autre partie de l'échiquier: il faut calculer le nombre de liberté des pierres. L'ensemble des coups pour prendre les bonnes formes... Mais il y a aussi le côté stratégique du jeu, son côté le plus oriental: c'est là que l'intuition du joueur entre en ligne de compte. Il faut acquérir une vision globale du jeu; c'est très difficile d'apprécier, de déterminer quelle va être l'évolution globale du jeu.

Cela dépend aussi de la personnalité des joueurs. Mais c'est aussi ce qui fait l'intérêt principal du Go: on peut y créer quelque chose d'assez personnel. Il est plus visuel que les échecs qui se calculent, s'élaborent en grande partie dans la tête. Ici on voit les formes sur l'échiquier"...

Et c'est cet aspect, à la fois visuel, créatif et mathématique qui séduit les inconditionnels. Au club de Go, on peut venir débutant et s'initier sans problèmes au subtilités des joseki, komoku, fuseki, san-san et autres sagari, qui constituent quelques-uns des coups classiques, apprendre à créer et reconnaître des formes, vivantes ou mortes, à faire des yeux... Car le Go a aussi son langage, hérité de ses origines orientales, sa hiérarchie et ses degrés appelés ici "kyu" et "dan"… Un peu comme les arts martiaux.

Il a aussi maintenant ses tournois. Bien sûr, pas encore comme au Japon, où il est le jeu No 1, pratiqué par des millions de joueur qui disposent d'écoles professionnelles, dont les matches sont retransmis en direct à la télévision... Mais à Paris, à Nantes, on a créé de tournois réguliers. Et à Strasbourg ce week-end, aura lieu le premier tour des championnats de France dont la finale se disputera en mars... à Strasbourg. Les représentants du club de Go strasbourgeois seront au rendez-vous. "Une quarantaine de membres de notre club seront là" poursuit M. Pernoud "ainsi qui des joueurs venus de Nancy, Metz, Besançon ... ".

Mais ce tournoi est ouvert à tous, licencié ou non. L'occasion, si vous êtes un joueur isolé de venir retrouver des adeptes de votre jeu préféré... Tout de go...

Liliane TREVISAN

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